Du refuge de Nice au refuge des Merveilles

Du refuge de Nice au refuge des Merveilles

Classé dans : Actu | 5
  • Distance: 10,89 km
  • D+: 807 m
  • D-: 888 m
  • Durée: 6h38

Depuis cette histoire du Skibylle Tour, Dorothée me dit mais quelle idée d’aller se mettre là haut dans le froid, la neige et les chemins incertains. Impossible néanmoins de manquer ce rendez-vous exceptionnel offert par Sibylle, ce bord à bord de copains dans une adversité aux couleurs nouvelles.

Aujourd’hui, c’était la grande étape, deux cols à franchir, oui monsieur. Il y a quelques semaines, la patronne des cimes nous a déplacés du raid 5 au raid 6. C’est sur le terrain que j’ai compris sa sagesse. Je ne parle pas pour Cédric et David, qui m’impressionnent en montée comme en descente. Pour cette quasi première fois à peaux de phoques, je découvre les pentes raides, les tibias creusés, le plantage de couteaux dans la glace inclinée. Avec les plus grosses bouffées de chaleur à la descente, concentration pour amorcer chaque virage.

Aujourd’hui donc, petit-déjeuner bavard au Refuge de Nice, le gardien Christophe est très amical. Tartines à l’huile d’olive, café à l’italienne, on discute recettes de cuisine.  Dehors le temps est magnifique, comme la veille à la Madone. L’aube éclaire avec douceur un ciel déjà bleu. On part à huit heures, avec une pensée émue pour Cédric qui a dû redescendre hier. Comme tous les jours, il me faut quelques longueurs pour trouver un rythme. Aujourd’hui on est seul, personne  devant nous. Sibylle trace la route. Quand les pentes que nous traversons sont trop fortes, on laisse entre nous une bonne distance. L’occasion de mieux voir les compagnons, infimes au pied des montagnes, avançant droit, avec régularité et douceur. La montagne est habitée. On entend le silence, quelques chants d’oiseaux brillent dans le ciel, et des pas de bêtes sur la neige. Surtout des chamois, ou des bouquetins, on a aussi suivi des empreintes de loup.

Puis ça se corse. Il faut passer la Baisse de Basto, on nous a dit que c’était facile, mais la, c’est quand même très raide, et tout gelé. David et Sibylle s’interrogent, moi j’ai depuis le début accepté ma position de suiveur. On met les couteaux sous les skis pour bien mordre la glace. Je peine à chaque conversion, glissant plusieurs fois et écorchant mes mains. Trop tard pour enlever mon sac et enfiler mes gants et ma grosse doudoune. Je me concentre pour ne pas tomber en arrière. On arrive enfin sous un rocher. L’ambiance garde le cap de la bonne humeur rigolarde digne de notre amitié, mais on sent quand même Sibylle très concentrée. Pour passer la brèche on attrape nos crampons. Que de premières fois. Sibylle ouvre la voie avec la même constance. Je suis dans ses pas,  skis arrimés à mon vieux sac par une cordelette, profitant de l’émotion, admirant mon amie pour sa confiance et sa capacité à nous emmener. Au sommet, c’est superbe. Perchés sur l’arête, vue sur les deux versants.

Depuis nos premiers jours, je suis impressionné par notre manière d’avancer. On sort d’un vallon, en découvrant au loin une muraille de montagnes, très hautes. Puis on avance, on sillonne, on pénètre ce paysage fixe, et au fil de ce temps ralenti, au fil des lacs gelés et blancs, nous voilà au pied des hauteurs. On progresse encore, jusqu’à se trouver dans la pente, avec une dernier effort pour atteindre le haut.

Après la brèche, on descend encore en crampons, le corps collé à la montagne, en plein soleil. Avec les skis, c’est plus compliqué dans cette neige profonde et molle, mais on y arrive, enfin pas au bon endroit et il nous faut remonter, pour redescendre ensuite sur le bon chemin retrouvé. Je fatigue bien sûr, mais c’est peu de chose face à la grandeur du site et mes deux amis devant. Deuxième col,la Baisse de Valmasque, j’ai cru à une pause, mais non, on repart. Avec à la clé un pique-nique aux petits oignons. Soleil, douceur, paysage, tomme et viande séchée.

La suite est une longue et tendre descente. On se laisse filer dans le vallon bordé d’imposantes pierres, comme des dolmens et menhirs tombés du ciel. A l’arrivée Mouloud nous attend. Il est monté de la vallée pour nous accueillir. Incroyable métier que ces gardiens de refuge. Pieds nus dans la neige, bière fraîche adossés au mur de la bâtisse, chacun sur son tabouret, comme des petits vieux apaisés par l’âge et savourant simplement la caresse du soleil.

Nicolas





  


 

La trace de la journée

5 Réponses

  1. Photo du profil de Veronique et christople

    Quel magnifique récit, quelle somptueuse aventure, nous sommes tout tremblants de votre belle amitié, de vos coups de chaud et de vos sueurs froides,
    Merci à vous tous,

  2. Tatane

    Superbe récit, Nicolas !
    On s’y croyait avec vous dans la tension de ce passage de col gelé et l’attention concentrée de Sibylle…
    Vous aurez bien mérité les pieds en éventail sur le sable de Menton et la bonne bibine pour conclure cette épopée.
    Bises à tous

  3. Bichou

    Au delà de l’exploit physique, je salue la force psychologique et mentale de Sibylle pour avoir entraîné tout ce petit monde dans cette belle aventure.
    Respect !
    Choubi

  4. Photo du profil de antoine

    La découverte de la montagne a manifestement inspiré Nico .Il en a oublié Pagnol et son accent de Marseille pour en faire du beau Samivel !
    Bises
    Antoine et Hélène

  5. Béatrice Détrie

    Erri de Luca l’a sans doute aussi inspiré pour louer la beauté de ces montagnes et la force de l’amitié!
    En tout cas, bravo à Sybille pour sa connaissance du terrain et sa force de caractère !
    Et merci Nicolas pour ce texte qui nous a fait partager ces moments exceptionnels !
    Bises
    Béatrice et Yves